L’office du juge des référés face au licenciement du lanceur d’alerte

Soc. 1er févr. 2023, FS-B, n° 21-24.271

 

Il est une chose d’inscrire la protection du lanceur d’alerte dans la loi, il en est une autre d’assurer en pratique son respect.

 

Responsable de département dans l’une des sociétés du groupe Thalès, une salariée saisit le comité d’éthique du groupe pour signaler des faits susceptibles d’être qualifiés de corruption. Le 20 février 2020, le comité d’éthique conclut à l’absence de situation contraire aux règles et principes éthiques. Le 13 mars 2020, la salariée fut convoquée à un entretien préalable, puis la notification de son licenciement lui fut notifiée le 27 mai 2020.

 

Imputant son licenciement à son alerte, la salariée saisit la juridiction prud’homale en référé afin d’obtenir la nullité de son licenciement et sa réintégration dans l’entreprise. Confirmant l’ordonnance rendue en première instance, la cour d’appel de Versailles rejeta ses demandes. Au soutien de son pourvoi en cassation, la salariée invoquait la violation des règles relatives à la protection des lanceurs d’alerte et notamment le non-respect de l’aménagement de la charge de la preuve par le juge des référés. En substance, pour l’auteure du pourvoi, dans un litige, y compris en référé, si le salarié présente des éléments laissant supposer l’existence d’un licenciement en lien avec l’alerte donnée, il appartient au juge de rechercher si l’employeur apporte des éléments objectifs étrangers à l’alerte de l’intéressée pour justifier sa décision.

 

La chambre sociale de la Cour de cassation devait prendre position sur l’office du juge des référés face au licenciement du lanceur d’alerte. La Maison des lanceurs d’alerte étant intervenue volontairement à l’instance et le Défenseur des droits ayant déposé des observations, la solution était pour le moins attendue.

 

Rappelant les règles légales relatives à la protection du lanceur d’alerte contre le licenciement, la chambre sociale retient une conception large de l’office du juge des référés, résolument protectrice des salariés endossant le difficile rôle de lanceur d’alerte.

 

Petit rappel : La protection contre le licenciement du lanceur d’alerte

 

La protection des lanceurs d’alerte, au sein de l’entreprise dont ils sont employés, résulte de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi « Sapin II ». Quoique substantiellement complété par la loi n° 2022-401 du 21 mars 2022 visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte, le dispositif issu de la loi Sapin II était seul applicable aux faits de l’espèce. Schématiquement, la protection du salarié lanceur d’alerte suppose qu’il soit qualifié comme tel au sens de la définition posée par l’article 6 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, d’une part, et qu’il ait respecté la procédure spécifique de recueil des signalements imposée par l’article 8 de la loi précitée, d’autre part.

 

Se référant à l’article L. 1132-3-3 du code du travail, la Cour de cassation prend d’abord soin de rappeler qu’« aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d’un délit ou d’un crime dont il aurait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions ou pour avoir signalé une alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique ».

 

En outre, ainsi que le prévoit le troisième alinéa de ce texte, reprenant le régime de la charge de la preuve en matière de discrimination (art. L. 1134-1), « en cas de litige relatif à l’application de ces dispositions, dès lors que le salarié présente des éléments de fait qui permettent de présumer qu’il a relaté ou témoigné de bonne foi de faits constitutifs d’un délit ou d’un crime, ou qu’il a signalé une alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 précitée, il incombe à l’employeur, au vu des éléments, de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage de l’intéressé ».

 

Le statut protecteur de la salariée n’était ici pas contesté, la cour d’appel ayant relevé la bonne foi de cette dernière dans le lancement de l’alerte.

 

Rappelons qu’en l’espèce, la salariée avait saisi le comité d’éthique du groupe Thalès pour signaler des faits de corruption. Moins d’un mois après les conclusions rendues par ce dernier, la salariée était licenciée. L’on apprend également, grâce au moyen annexé, « que ce sont les personnes visées par l’alerte qui avaient initié et mené la procédure de licenciement » et « que le compte-rendu de l’entretien préalable faisait expressément référence au lien entre la dégradation des relations de travail et l’alerte ». Autant d’éléments qui permettaient de présumer que le licenciement était en réalité motivé par l’alerte. En toute logique, il revenait à l’employeur de prouver que sa décision était justifiée par des éléments objectifs étrangers.

 

Or, les juges des référés ont ici entendu limiter leur office. Ils estimaient qu’à défaut d’être manifeste, l’examen du lien entre la décision de licenciement et l’alerte relevait de l’office des juges du fond, point de vue que ne partage résolument pas la Cour de cassation.

 

Le contrôle en référé du licenciement du lanceur d’alerte

 

Sur le fondement de l’article R. 1455-6 du code du travail, la Cour de cassation énonce, dans ce qui a tout d’un attendu de principe, que « le juge des référés, auquel il appartient, même en présence d’une contestation sérieuse, de mettre fin au trouble manifestement illicite que constitue la rupture d’un contrat de travail consécutive au signalement d’une alerte, doit apprécier si les éléments qui lui sont soumis permettent de présumer que le salarié a relaté ou témoigné de bonne foi de faits constitutifs d’un délit ou d’un crime, ou qu’il a signalé une alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 précitée et, dans l’affirmative, de rechercher si l’employeur rapporte la preuve que sa décision de licencier est justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage de ce salarié ».

 

Si la chambre sociale avait déjà eu l’occasion de rappeler l’importance de la répartition de la charge de la preuve en matière d’alerte, c’est la première fois qu’elle se prononce à propos d’une procédure de référé.

 

En matière prud’homale, le juge des référés peut, en cas d’urgence, soit ordonner toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend (art. R. 1455-5), soit prescrire toutes les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent pour prévenir un dommage imminent ou faire cesser un trouble manifestement illicite et ce même en présence d’une contestation sérieuse (art. R. 1455-6). Mobilisé dans le cas d’espèce, ce dernier motif permet au juge des référés d’ordonner la réintégration provisoire du salarié dans l’entreprise lorsque son licenciement est entaché de nullité. Il en est ainsi en cas de violation du statut protecteur des représentants du personnel, en cas de rupture anticipée d’un CDD faisait suite à l’action en justice du salarié pour obtenir la requalification de la relation de travail en CDI ou encore en cas de licenciement à la suite d’une dénonciation de faits de harcèlement moral.

 

Statuant en urgence, la question est alors celle de l’ampleur des recherches incombant au juge des référés. Le trouble manifestement illicite exige-t-il une violation évidente de la règle de droit ou le juge doit-il approfondir ses investigations pour rechercher l’illicéité de la décision prise par l’employeur ? En exigeant du juge des référés qu’il recherche les éléments objectifs étrangers à l’alerte, dont la preuve incombe à l’employeur, la chambre sociale opte ici pour la seconde option.

 

On ne peut que se réjouir de cette solution, se présentant comme un pas de plus vers l’effectivité de la protection des lanceurs d’alerte. Pris en violation de leur statut protecteur, leur licenciement est nul (art. L. 1132-4) et ouvre droit à réintégration dans l’entreprise (art. L. 1235-3-1, 3°). Or, le temps d’un jugement au fond est souvent un obstacle insurmontable à la réintégration. Intervenant quelques années plus tard, les relations avec la communauté de travail se sont distendues et le salarié a sûrement retrouvé un emploi ailleurs, outre l’éventuelle période de précarité économique et sociale qu’il a dû traverser.

 

Le référé conservatoire se présente désormais comme une voie utile pour le salarié lanceur d’alerte.

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