TJ Nanterre, ordonnance de référé du 14 février 2025, RG n° 24/01457
Il n’existe pas ou peu de jurisprudence sur le rôle des élus du personnel en cas d’introduction de l’IA dans l’entreprise. C’est tout l’intérêt d’une ordonnance de référé du mois dernier. Au cas particulier, le tribunal a enjoint à un employeur de suspendre son projet de déploiement de nouvelles applications informatiques mettant en œuvre des procédés d’IA tant que la procédure de consultation du CSE n’était pas terminée.
Dans une entreprise d’au moins 50 salariés, l’employeur doit consulter le comité social et économique sur l’introduction de nouvelles technologies (c. trav. art. L. 2312-8).
Deux questions peuvent alors se poser : que faut-il entendre par « nouvelles technologies » ? à quel moment consulter l’instance ?
Il ne fait pas de doute que le déploiement de nouveaux outils dans l’entreprise mettant en œuvre des procédés d’intelligence artificielle constitue l’introduction d’une nouvelle technologie. En effet, une technologie est nouvelle lorsqu’elle n’est pas déjà utilisée dans l’entreprise, même si elle est largement répandue dans le secteur d’activité de l’entreprise ou dans le reste de l’économie (circ. DRT 84-12 du 30 novembre 1984, BOMT n° 84/8bis).
Sur le moment de la consultation du CSE, on sait que l’employeur doit consulter le CSE au stade de son projet d’introduction de nouvelles technologies dans l’entreprise (c. trav. art. L. 2312-14) et attendre l’avis du CSE avant de le mettre en œuvre, sinon cela reviendrait à ne pas consulter le CSE.
C’est précisément sur ce point que le tribunal judiciaire a eu l’occasion de se prononcer. Dans l’affaire qui nous intéresse, le CSE avait demandé à être consulté sur un projet de l’employeur de déployer des nouvelles applications informatiques mettant en œuvre des procédés d’IA.
L’employeur ne faisant pas droit à cette demande, pourtant renouvelée, le CSE l’avait assigné devant le juge des référés pour lui enjoindre d’ouvrir la consultation et de suspendre la mise en place de ces nouveaux outils. L’employeur avait alors engagé la consultation du CSE.
Mais le CSE a de nouveau saisi le tribunal judiciaire, en référé, en soutenant que l’employeur a mis en œuvre les applications informatiques sans attendre qu’il rende son avis. Il a donc demandé aux juges, entre autres prétentions, d’ordonner à l’employeur de suspendre son projet jusqu’à ce qu’il ait pu rendre son avis et ce, sous astreinte.
Pour se défendre, l’employeur faisait notamment valoir que la consultation du CSE n’était pas nécessaire, les outils informatiques étant simplement en cours d’expérimentation et pas encore mis en œuvre.
Le tribunal rappelle notamment que lorsque l’employeur consulte le CSE, il ne peut mettre en œuvre le projet en cause avant que le comité n’ait rendu son avis. Or, le déploiement des outils informatiques intégrant l’IA était en phase pilote pour certains d’entre eux depuis plusieurs mois. Qui plus est, la phase pilote impliquait l’utilisation des nouveaux outils, au moins partiellement, par l’ensemble des salariés relevant de la direction des opérations et de celle de la communication. Pour le tribunal, cette phase ne pouvait dès lors pas être regardée comme une simple expérimentation nécessaire à la présentation d’un projet suffisamment abouti. Il s’agissait au contraire d’une première mise en œuvre des applicatifs informatiques soumis à la consultation du CSE.
Le tribunal en déduit que le CSE n’ayant pas encore rendu son avis sur ces outils, leur déploiement anticipé constituait un trouble manifestement illicite. Il ordonne en conséquence la suspension de leur mise en œuvre jusqu’à la clôture de la consultation, en l’assortissant d’une astreinte de 1 000 € par infraction constatée pendant une durée de 90 jours.
La lourdeur de l’astreinte prononcée est significative.
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Dicé Avocat Paris