Employeur : une possibilité (sous conditions) d’utiliser un mode de preuve illicite

La preuve illicite et son utilisation (sous conditions) par l'employeur

Dans un arrêt publié du 8 mars 2023, la Cour de cassation rappelle qu’une preuve illicite visant à établir une faute du salarié, en l’espèce obtenue par vidéosurveillance, peut être admise en justice sous certaines conditions. Elle doit notamment être indispensable à l’exercice du droit de la preuve par l’employeur. Mais si l’employeur peut utiliser un autre mode de preuve, alors la preuve illicite sera rejetée.

 

  • Une salariée licenciée en raison de vols révélés par la vidéosurveillance du magasin

 

Dans cette affaire, une salariée travaillant dans un « bar à ongles » avait été licenciée pour faute grave en août 2013 pour avoir commis des détournements de fonds et des soustractions frauduleuses.

 

L’employeur avait tout d’abord eu des soupçons de vol vis-à-vis de la salariée après avoir mené un audit en juin et juillet 2013. Et c’est grâce à la vidéosurveillance du magasin qu’il a pu avoir confirmation que la salariée était bien l’auteur de ces vols.

 

La salariée a contesté son licenciement devant les juges. Pour prouver que le licenciement était bien justifié, l’employeur avait produit les enregistrements de la vidéosurveillance révélant les actes fautifs de la salariée.

 

Cependant, ces éléments de preuve ont été rejetés par les juges et l’employeur a été condamné à indemniser la salariée pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Une décision confirmée par la Cour de cassation.

 

  • Une vidéosurveillance mise en place de manière irrégulière

 

Les juges ont tout d’abord constaté que l’installation d’une caméra dans le magasin avait été réalisée sans que la salariée n’ait été informée ni des finalités du dispositif de vidéosurveillance ni de la base juridique qui le justifiait et en l’absence de l’autorisation préfectorale préalable exigée.

 

Or, l’employeur qui met en place un dispositif de vidéosurveillance du lieu de travail doit :

 

  • D’une part, s’il s’agit d’une entreprise d’au moins 50 salariés, consulter au préalable le comité social et économique ( trav. art. L. 2312-37 et L. 2312-38) ;
  • D’autre part, quel que soit son effectif, informer préalablement et individuellement les salariés concernés ( trav. art. L. 1222-4).

 

Ces formalités sont obligatoires, même si la vidéosurveillance est destinée à la protection et la sécurité des biens et des personnes dans les locaux ouverts au public, dès lors qu’elle permet également de contrôler et de surveiller l’activité des salariés (cass. soc. 10 novembre 2021, n° 20-12263 FSB). Et si l’employeur ne les respecte pas, la preuve issue des enregistrements vidéo est illicite.

 

En l’espèce, l’employeur n’avait pas respecté ces formalités. Selon la Cour de cassation, les juges ont eu raison de considérer que les enregistrements litigieux extraits de la vidéosurveillance constituaient un moyen de preuve illicite.

 

Attention : une preuve illicite n’est pas automatiquement déclarée irrecevable par les juges. Elle peut être admise sous certaines conditions.

 

La Cour de cassation rappelle que le droit à la preuve « peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi » (cass. soc. 30 septembre 2020, n° 19-12058 FSPBRI).

 

La Cour de cassation précise ensuite la marche à suivre par le juge en présence d’une preuve illicite :

 

  • Le juge doit d’abord s’interroger sur la légitimité du contrôle opéré par l’employeur et vérifier s’il existait des raisons concrètes qui justifiaient le recours à la surveillance et l’ampleur de celle-ci ;
  • Le juge doit ensuite rechercher si l’employeur ne pouvait pas atteindre un résultat identique en utilisant d’autres moyens plus respectueux de la vie personnelle du salarié ;
  • Enfin, le juge doit apprécier le caractère proportionné de l’atteinte ainsi portée à la vie personnelle au regard du but poursuivi.

 

En l’espèce, l’employeur prétendait que la production de la vidéosurveillance était indispensable à l’exercice du droit de la preuve, puisqu’elle avait permis de confirmer les soupçons de vol à l’encontre de la salariée révélés par l’audit.

 

Or, la cour d’appel comme la Cour de cassation ont estimé à l’inverse que la production des enregistrements vidéo n’était pas indispensable à l’exercice du droit à la preuve de l’employeur, puisque celui-ci disposait justement de cet audit comme autre moyen de preuve, qu’il avait d’ailleurs mentionné dans la lettre de licenciement.

 

Malheureusement, l’employeur n’avait pas produit cet audit devant les juges. Et les autres éléments de preuve rapportés par l’employeur (autres que la vidéosurveillance) ne permettaient pas d’établir la réalité de la faute reprochée à la salariée.

 

La Cour de cassation confirme dès lors le licenciement sans cause réelle et sérieuse de la salariée.

 

Cass. soc. 8 mars 2023, n° 21-17802 FSB

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