Harcèlement sexuel, en rapporter la preuve grâce à un rapport d’enquête : Quelles conditions ?

Dans un arrêt tout récent du 18 juin 2025 (Cass. soc. 18 juin 2025, n° 23-19022), la Cour régulatrice rappelle que si un rapport d’enquête interne peut servir à prouver un harcèlement sexuel ou des agissements sexistes, c’est sous certaines conditions.

 

Dans cette affaire, certains comptes rendus d’entretiens avaient été caviardés et d’autres non produits. L’employeur n’apportant pas d’autres éléments, les juges ont pu décider qu’il n’avait pas réussi à prouver les faits en cause.

 

Dans les faits, un salarié, occupant les fonctions de directeur associé, a été licencié pour faute en raison de faits de harcèlement sexuel et d’agissements sexistes. Il a saisi ses juges et obtenu en appel que l’employeur soit condamné pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

 

Pour la cour d’appel, l’employeur n’a en effet pas prouvé les faits qu’il reprochait au salarié, car il ne leur a fourni comme preuve qu’un rapport d’enquête incomplet.

 

Il ressort effectivement de l’affaire que l’employeur a produit en appel seulement 5 comptes rendus sur les 14 réalisés.

 

Parmi les comptes rendus d’entretiens donnés aux juges, certains :

 

  • Étaient « caviardés », certains des faits décrits et des noms des personnes citées comme témoins ou victimes des agissements du salarié ayant été tronqués ;
  • Présentaient des descriptions des faits « assez semblables » ;
  • Relataient des faits dont le salarié entendu n’avait pas été personnellement témoin.

 

Enfin, certains des faits décrits n’avaient été confirmés par aucune autre personne, alors même que les comptes rendus faisaient état d’autres témoins, ni même corroborés par d’autres éléments.

 

Pour tenter de s’en justifier, l’employeur a fait valoir le souhait de certains salariés de conserver l’anonymat, de ne pas voir leur témoignage divulgué et la nécessité de respecter leur vie privée. Mais il n’a pas établi cette réticence à témoigner, ni expliqué pourquoi il n’a pas anonymisé ces témoignages.

 

Pour la cour d’appel, il était possible que l’employeur ne lui ai pas donné certains comptes rendus parce qu’ils auraient été favorables au salarié licencié ou qu’ils auraient infirmé tout ou partie des faits imputés à ce dernier.

 

L’employeur a porté l’affaire devant la Cour de cassation, sans plus de succès, celle-ci approuvant le raisonnement de la cour d’appel.

 

La Cour de cassation rappelle que « en cas de licenciement d’un salarié en raison de la commission de faits de harcèlement sexuel ou moral ou d’agissements sexistes ou à connotation sexuelle, il appartient aux juges du fond d’apprécier la valeur probante d’une enquête interne produite par l’employeur, au regard le cas échéant des autres éléments de preuve produits par les parties ».

 

Dans cette affaire, la cour d’appel s’est effectivement interrogée sur la valeur probante du rapport d’enquête interne, tel que l’employeur le lui avait remis, en le confrontant aux éléments de preuve produits par le salarié mis en cause.

 

Au regard des éléments ainsi produits, la cour d’appel a pu décider que les griefs invoqués par l’employeur à l’appui du licenciement n’étaient pas établis avec certitude par des éléments suffisamment probants.

 

Et comme le prévoit le code du travail (c. trav. art. L. 1333-1), s’il y a un doute, il doit profiter à l’intéressé.

 

Il convient de noter que la Cour de cassation est ici dans la droite ligne de sa jurisprudence.

 

Elle a en effet déjà donné pour mission aux juges du fond d’apprécier si un rapport d’enquête interne, produit par l’employeur pour prouver des faits de harcèlement, a « valeur probante, au regard le cas échéant des autres éléments de preuve produits par les parties » (cass. soc. 29 juin 2022, n° 21-11437). Autrement dit, l’appréciation du caractère probant des éléments de preuve produits relève du pouvoir souverain des juges du fond.

 

Pour rappel, quand un salarié signale des faits pouvant être du harcèlement, l’employeur doit adopter des mesures suffisantes de nature à préserver la santé et la sécurité des salariés, au nom de son obligation légale de sécurité (cass. soc. 12 juin 2024, n° 23-13975).

 

Au nombre de ces mesures, l’employeur peut notamment déclencher une enquête interne afin d’avoir une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l’ampleur de faits reprochés à un salarié. Il peut alors prendre toutes les décisions qui s’imposent si le harcèlement est avéré, comme de sanctionner l’auteur des faits (c. trav. art. L. 1153-5 et L. 1153-6).

 

Outre l’intérêt que présente une telle enquête pour la démarche de prévention de l’employeur, elle peut aussi lui servir de preuve des faits reprochés au salarié licencié pour harcèlement. Mais, comme tout élément produit devant les juges, les juges vérifient « son caractère probant intrinsèque », c’est-à-dire s’il s’agit bien d’une preuve.

 

Rappelons tout de même qu’au cours d’une enquête il n’est pas imposé que l’employeur entende tous les collaborateurs du salarié mis en cause (cass. soc. 29 juin 2022, n° 21-11437).

Vous avez besoin d'un Conseil ?

Contactez-nous et prenez votre premier rendez-vous téléphonique